Vendée Globe. L’Indien, l’océan de tous les possibles

Armel Le Cleac'h (Banque Populaire) a pris la tête du Vendée Globe dans l'océan Indien, dimanche soir.

Ce mardi 28 novembre, 9 des concurrents du Vendée Globe sont déjà ou vont arriver dans l’océan Indien. Cette autoroute balayée par la houle indique les premiers signes des conditions dantesques Grand Sud. Un passage mythique du tour du monde. Où beaucoup de choses se jouent. Voilà ce qui les attend…

Après la longue descente de l’Atlantique dans le Golfe de Gascogne, puis le long des côtes du Portugal et de l’Amérique du Sud, le clignotant mis à gauche par les concurrents du Vendée Globe, au Cap de Bonne Espérance, marque l’entrée des marins dans l’océan Indien.

Une zone mythique qui s’étend sur une surface de 75 000 000 km2. Parce qu’il affiche, comme limites Nord, l’Inde, le Pakistan et l’Iran. Mais les concurrents du Vendée Globe y arpentent sa partie la plus sud. Et celle-ci est immense et vertigineuse. Une autoroute large de 8 333 km. Qui commence à la longitude du Cap des Aiguilles au sud de l’Afrique du Sud pour se terminer au sud de la Tasmanie.

L'océan Indien, c'est une autoroute de houle de 8 333 km à partir de la pointe sud de l'Afrique du Sud jusqu'à celle de l'Australie (en bleu marine).
L’océan Indien, c’est une autoroute de houle de 8 333 km à partir de la pointe sud de l’Afrique du Sud jusqu’à celle de l’Australie (en bleu marine). | DR

L’Indien, c’est l’océan de tous les possibles. Moins de trois jours après s’y être engouffré, Armel Le Cleac’h y a pris la tête de la course, dimanche soir. Le skipper de Banque Populaire, leader ce mardi matin a même réussi à creuser un petit écart sur Thomson, même si la nuit dernière, le Britannique a repris 6 des 30 milles de retard qu’il comptait.

“On avance vers les Kerguelen, dans des conditions assez fraîches, relatait Le Cleac’h à la vacation de mardi matin. “La mer est relativement correcte. Il fait froid maintenant depuis deux jours. La température de l’eau doit être entre 5 et 6 degrés et dans le bateau c’est à peu près pareil. A plus long terme, ça devrait se dégrader fortement : il y a du coup de vent qui s’annonce. Des dépressions descendent de Madagascar et se creusent assez vite selon les modèles. On pourrait être amenés à subir ça en fin de semaine. Normalement, on devrait passer au Nord des Kerguelen mercredi matin. On sait qu’on est dans la partie la plus compliquée du parcours : les mers du Sud, des conditions assez hostiles…”

Sur le Vendée Globe précédent, en 2012, François Gabart, futur vainqueur, avait enchaîné les records de vitesse alors qu’il s’aventurait pour la première fois dans ces eaux inhospitalières de l’Indien : 545,3 milles (1009,8 km)en 24 heures à la moyenne de 21,1 noeuds. Au terme d’une furieuse cavalcade dans cet océan de houle, le skipper de Macif signera deux nouveaux records en atteignant le sud de l’Australie : Le Sables – Cap Leeuwin et Le Cap – Cap Leeuwin.

C’est aussi dans l’océan Indien que Titouan Lamazou avait construit sa victoire en 1989-90, lors du premier Vendée Globe. Dans son livre Demain je serai tous mort, il rendait hommage à ce “pays de l’ombre, (s)on océan de cœur.”

“Les dernières terres qui freinent encore la mer et le vent disparaissent. Plus rien ne peut empêcher les vagues de galoper autour du pôle avec une monstrueuse régularité. Leurs crêtes blêmes laissent échapper une fumée d’embruns. J’ai un faible pour l’océan Indien, même si les dépressions s’y succèdent. Il me fascine. La mer peut y être énorme, l’air est pur, la lumière limpide, c’est superbe. Il  y fait froid, c’est totalement hostile et on y ressent une très grande solitude. Il y a cette tension qui commence. L’angoisse est latente et elle ne nous quitte que lorsque l’on double le cap Horn pour remonter dans l’Atlantique.”

“Un océan cochon !”

De retour de son Trophée Jules Verne victorieux, en 1997, Olivier de Kersauson le décrivait avec avec respect dans Tous les océans du monde. “Par moments, le ciel est clair comme je n’en ai encore jamais vu à ces latitudes. Sublime. Les aurores boréales peuvent être irréelles de beauté. Une lumière blanche particulière, un soleil blanc et froid, hors de ce monde. Il n’y pas besoin d’aller sur Mars pour se sentir sur une autre planète. Cette mer verte et puissante avec ses reflets noirs en fait un monde de « nulle part ».” 

Mais si l’Indien est magique, il peut aussi se montrer vénéneux. Ce même Olivier de Kersauson, le racontait avec férocité. “c’est le plus grand désert du monde. En quelques heures, tout change. Ce n’est pas le fait de crever un méridien ou un parallèle qui fait dire qu’on est dans le sud : c’est quand on voit les oiseaux, la couleur de l’eau, la densité et la fraîcheur de l’air qui ne sont plus les mêmes. Non pas qu’il effraie, mais il impressionne. Ici, la sanction c’est d’aller au fond, alors ça fait un peu antichambre de la mort. On y rentre comme dans une zone sans innocence :  le respect entraîne la défensive.” 

Dans son récit du Trophée Jules Verne de 1997, Olivier de Kersauson raconte son aversion pour l'océan Indien.
Dans son récit du Trophée Jules Verne de 1997, Olivier de Kersauson raconte son aversion pour l’océan Indien. | Raphaël Bonamy

“Je l’ai toujours franchi animé d’un grand sentiment silencieux, empreint d’une animosité physique. Il y a, dans l’Indien une sorte d’esprit de châtiment idéologique envers le navigateur. C’est l’océan des huis clos maritimes. On peut mesurer sa puissance aux faibles témoignages à charge. Il serait trop long de faire ici l’inventaire de toutes ses vilenies. L’Indien a toujours mis au supplice les marins. C’est un chaudron de sorcière dans lequel il est impossible d’avancer. Je l’ai toujours détesté, il me fait peur. On peut y être massacré.”

Dans Ocean’s songs, le marin le réduisait quasi-définitivement à “un océan cochon, une auberge à punaises.” 

Cimetière à illusions

D’ailleurs, deux ans avant de le traverser porté par la grâce, François Gabart y avait connu un funeste destin : un démâtage sur la Barcelona World Race 2010 avec Michel Desjoyeaux. Et même en 2012, alors qu’il s’en était sorti sans casse sur son Vendée Globe, ce ne fut pas sans émotions. “On m’a toujours décrit l’Indien comme une zone avec des phénomènes assez violents et surtout une mer difficile, j’ai été servi ! Il faut bien se tenir, parce que c’est particulièrement inconfortable, voire dangereux.”

Sur le Vendée Globe précédent celui de François Gabart, en 2008-09, l’Indien avait châtié la flotte. Loïck Peyron (Gitana Eighty) et Mike Golding (Ecover) y avaient, eux aussi, démâté. Dominique Wavre (Témenos II) y avait laissé sa quille et Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat) et Jean-Pierre Dick (Paprec – Virbac 2) leurs safrans. Et c’est quasiment à son extrémité, à 800km de l’Australie, que Yann Eliès (Generali) s’était fracturé le fémur. Enfin, Raphaël Dinelli s’y était couché plusieurs fois, là où il avait déjà chaviré en 1996.

Cette année-là, l’Indien s’était montré impitoyable. Car après Dinelli, ce furent tour à tour Thierry Dubois puis Tony Bullimore qui chaviraient dans une mer énorme et 65 à 70 nœuds de vent.

Enfin, au cours du Vendée Globe 1989-90, Jean-Yves Terlain n’avait pas eu l’honneur de sa lancer dans cet océan de malheur : il démâtera au sud du Cap.

C'est aussi dans l'océan Indien qu'en 1996, Thierry Dubois (entre autres) avait chaviré.
C’est aussi dans l’océan Indien qu’en 1996, Thierry Dubois (entre autres) avait chaviré. | DR

Cet océan a, logiquement, vu naître des textes aussi anciens et féconds dans la littérature. Comme ceux des Mille et Une Nuits

. Les voyages réels et fantastiques du marchand Sindbad se déroulent dans cet océan baigné par les moussons et les cyclones. Et qui a aussi inspiré Charles Baudelaire.

Source : http://www.ouest-france.fr/vendee-globe/vendee-globe-l-indien-l-ocean-de-tous-les-possibles-4644288?utm

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