Combler les dents creuses

L’application cumulative de la loi Littoral de 1986, de la loi Grenelle II de 2010, de la loi ALUR de 2014, de la loi Macron de 2015, des sites Natura 2000… a provoqué une instabilité des doctrines administratives et jurisprudentielles alimentant des effets pervers et pour le moins la confusion des esprits tant chez les propriétaires concernés que dans les administrations confrontées à des jurisprudences contradictoires. On ne savait plus que penser face à des situations parfois ubuesques ; les sénateurs voulaient restreindre la loi Littoral (vote du 11 janvier 2017), ce que les députés viennent de refuser (vote en seconde lecture du 31 janvier 2017) ! En quoi cela concerne-t-il directement l’île d’Arz ?

Les constructions, même en zones classées U au PLU, seraient devenues impossibles en dehors des agglomérations et villages. Or, à l’île d’Arz, seul le bourg est classé comme « village », ce qui impliquerait l’interdiction de combler les « dents creuses » dans les hameaux de Pénéro, Kervio, Le Penher, Rudevent… Cette règle, un peu floue comme on le verra, pose au moins deux problèmes : elle s’oppose à la densification interne des hameaux qui était un des objectifs du PLU en vue d’éviter un « mitage » du littoral conformément à la loi Grenelle II. Or l’équilibre de l’île d’Arz suppose-t-il de bénéficier d’un peu plus de constructions ? Cela peut passer par le comblement des « dents creuses » sous réserve que cela n’augmente pas la taille des hameaux, ce qui est la philosophie de notre PLU. Le deuxième problème est la dévalorisation des terrains perdant leur constructibilité et passant donc pour l’île d’Arz de quelques centaines d’€/m2 à un €/m2. Une association nationale s’est créée, les PLUmés, pour défendre les intérêts financiers des propriétaires. Mais la convergence apparente d’intérêt général (densification) et d’intérêts particuliers (non-dévalorisation des biens des propriétaires) n’a jamais facilité les débats.

S’inspirant d’un rapport du Sénat produit en 2014 par deux sénateurs, dont Odette Herviaux, sénatrice du Morbihan, il a été proposé la possibilité d’urbaniser les dents creuses des hameaux « hors des espaces proches du rivage ». Mais qu’est-ce qu’un espace proche du rivage ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les « espaces proches du rivage » ne sont pas les 100 m de la loi Littoral mais sont définis par trois critères : la distance (non précisée) par rapport à la mer, la co-visibilité entre le terrain et la mer, et le relief ainsi que la nature plus ou moins urbanisée de l’espace séparant le terrain de la mer (première ou deuxième ligne construite).

L’article L146-4-III de la loi Littoral pose le principe d’une inconstructibilité absolue sur une bande littorale de 100 m mais en dehors des espaces déjà urbanisés, ce qui est le cas des dents creuses en zones U. La densification des espaces urbanisés échappe ainsi au principe d’inconstructibilité (Conseil d’Etat, 7 février 2005). Mais qu’est-ce qu’un espace urbanisé ? Deux critères peuvent être pris en compte par les tribunaux administratifs : le premier est le classement U au PLU ; le deuxième est une « densité significative » ( ?) de constructions.

Une autre possibilité de combler les « dents creuses » découle de l’article L 146-4-I du code de l’urbanisme qui autorise une extension de l’urbanisation dans des « hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ». Est-ce le cas de Pénéro, Kervio, Le Penher, Rudevent… ? Le Conseil d’Etat (7 juillet 2014) a insisté sur le fait que les « hameaux nouveaux » devaient être pris en compte dans l’urbanisme communal (classement en zone U) et ne pouvaient en aucun cas relever de décisions (et d’intérêts) privés ; cela avait été par exemple l’enjeu du débat lors du projet privé, aujourd’hui abandonné, de reconstruction du hameau de Kéléron.

Un des points importants pour l’île d’Arz est de savoir si son équilibre (maintien d’une école, de commerces, d’un bureau de poste… voire d’une mairie) suppose d’augmenter la capacité d’accueil (par densification sans extension des zones urbaines) où si l’on considère que l’on a atteint un niveau de saturation à ne pas dépasser. La capacité d’accueil résulte de ce que le territoire peut supporter sans qu’il soit porté atteinte à son identité physique, économique, socio-culturelle et aux équilibres écologiques (rapport Herviaux-Bizet de 2014). On voit bien ici qu’il faut dépasser les seules arguties réglementaires pour poser les vraies questions politiques, au sens étymologique du terme, celles de la gestion de la cité.

Jacques de Certaines

Source :

https://www.mairie-iledarz.fr/Iledarz/index.php/actualites1/91-latest-news/907-combler-les-dents-creuses-comme-methode-d-anti-mitage

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