Les Touyeur, une saga – Episode 1

Collection Christophe Stener

La famille Touyeur, une saga

 

Feuilleton 1

 

 

La tante Huguette, ‘Gueguette’ comme les appelaient ses sœurs, affectueusement mais avec un soupçon de commisération  et cette manie de donner de se donner des ‘petits noms’ typiquement Touyeur, l’oncle Alphonse, c’était ‘Fonfon’, moi Bébé, du moins jusqu’à mon premier pantalon, sur la photo, c’est moi sur le cheval de bois, mon premier pantalon et ma première érection, dans mon souvenir, me couvrir les genoux fut très érotique, mais je digresse, donc Gueguette était laide, enfin disait-on dans la famille, trop laide pour trouver à se marier. Ma tante vieille fille c’est celle avec les lunettes oignon, celle qui ressemble à une institutrice en retraite, ce qu’elle était.  Mon oncle, pas Fonfon, Riton, Henri, je veux dire, qui était selon Adèle, son épouse, un mécréant, j’ai longtemps pensé que mécréant cela voulait dire arabe car le curé pendant la messe parlait des mécréants qui avaient combattu Saint Louis, jusqu’à ce sa femme ma tante Adèle, Dedelle, le qualifie ainsi, disait que sa sœur Gueguette avait un teint d’hostie. Cette plaisanterie blasphématoire ne faisait rire que lui mais, après l’avoir entendue, je tirais moins volontiers la langue au moment de l’eucharistie car j’avais l’impression de manger ma tante. Riton avait toujours prédit que Guegette « finirait bonne sœur ». Mon oncle c’est celui qui est bougé en haut sur la photo. Il rigole de la plaisanterie salée qu’il vient de raconter à ma cousine Eulalie, Lili. Cette prédiction était plausible car sa sœur était très bigote mais elle convola avec un colonel des Spahis, de vingt ans son aîné, mariage arrangé par une camarade de son pensionnat de jeunes filles. La nuit des noces, ma tante se précipita dans le lit de sa mère, ma grand-mère (c’est la dame en noir au premier rang) quand le colonel enleva sa chemise de nuit. Elle avait pourtant vécu à la campagne et vu de chevaux mais ça, cela dépassait son imagination et elle prit peur. La nuit de noce fut morganatique, la première semaine aussi et puis un soir le colonel en eut assez, il prit la soupière et la renversa sur la tête de ma tante. C’était une soupe aux choux donc cela n’a pas trop tâché mais enfin ma tante en prit prétexte pour obtenir le divorce et une attestation de l’évêque que le mariage n’ayant pas été consommé, elle pourrait à nouveau convoler en justes noces et en blanc à l’église. Je sens que mon récit est un peu décousu mais pour finir Gueguette ne retrouva pas de fiancée et passa son diplôme d’institutrice. Elle m’obsédait de questions pendant les repas dominicaux pour vérifier mes progrès scolaires. Vieille fille, elle ne se fiança pas avec le Christ malgré la prédiction de Riton mais avec Jules Ferry, blaguait son frère, qui tenait ledit Jules pour un grand homme car dreyfusard et franc-maçon comme lui. Normalement cela ne se dit pas qu’on est franc-maçon mais il en faisait état pour faire bicher son frère qui était pour la calotte et le curé Justin Bourgueil, Bourgueil comme le petit vin, lui on ne peut pas se tromper, c’est celui avec le col romain sur la photo. C’est Justin qui avait procédé au mariage et il était un peu pompette dès avant le repas de noces de l’apéritif ce qui avait créé une certaine confusion pendant la cérémonie. Sur la photo, il essaie de faire curé mais c’était un rigolo le Justin et il faisait semblant de s’offusquer des blagues voltairiennes de mon oncle Riton. Mon oncle Riton était voyageur-représentant-placier en matériel de vélocipède et en accessoires automobiles avant la guerre, la grande, celle de Verdun et du Maréchal, on en reparlera. Il avait pourtant son bachot, mon oncle mais il avait perdu deux ans à prétendre faire les Beaux-Arts, un prétexte pour regarder des modèles posant nues, selon ma mère, sa sœur, celle qui se tient derrière moi sur la photo. Il travaillait mollement quelques jours par mois, le reste du temps, il le passait au café à boire sa demi-tasse, fumer son cigare et trainer en pantalon de velours ou de coutil, selon la saison ; pour faire artiste, il arborait une lavallière. Il lutinait les serveuses avec son bagout. Ses succès étaient innombrables auprès des femmes de chambre des hôtels de sous-préfectures. ‘Mon frère finira comme Guy de Maupassant’ affirmait l’oncle Louis, le seul qui n’eut de surnom car Louiloui c’est peu euphonique. Je ne comprenais pas pourquoi mon oncle Henri devrait devenir médecin ou écrivain alors qu’il était VRP et content de son sort. Je n’ai compris qu’au régiment que c’était la syphilis et la folie qui menaçait mon oncle Riton. Une page entière d’écrite et je n’ai parlé toujours pas parlé des mariés, ce sera pour le prochain feuilleton.

 

Christophe Stener

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