Les ouvriers de la onzième heure

Rembrandt

Dimanche 24 Septembre

Evangile selon saint Matthieu 20, 1-16

En ce temps-là, Jésus disait cette parabole à ses disciples : « Le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin pour embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux pour le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers la neuvième heure, il en vit d’autres qui étaient là, sur la placez, sans rien faire ? Et à ceux-là, il dit : « Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste. «  Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et il fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et il leur dit : « Pourquoi êtes-vous restés là, sans rien faire ? Ils lui répondirent : «  Parce que personne ne nous a embauchés. » Il leur dit : « Allez à ma vigne, vous aussi. »

Le soir venu, le maître dit à son intendant : « Appelle les ouvriers et distribue les salaires, en commençant par les derniers pour finir par les premiers. » Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant ils récriminaient contre le maître du domaine : « Ceux-là, les derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu le »s traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur ! » Mais le maître répondit à l’un d’eux : « Mon ami, je ne suis pas injuste avec toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? »

« C’est ainsi que les derniers seront les premiers, et les premiers seront derniers. »

L’Evangile que nous venons d’entendre nous parle des ouvriers de la onzième heure. Il y aura toujours quelqu’un pour dire : « Je ne suis pas d’accord ; il n’est pas normal que les ouvriers de la 11ème heure soient payés comme ceux de la première. » C’est vrai, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans l’Evangile de ce jour. Le vrai message est ailleurs.

On nous a appris qu’il faut faire beaucoup d’efforts pour chercher Dieu, le rencontrer, « le mériter » et ainsi pouvoir accéder à son Royaume. Aujourd’hui l’Evangile voudrait nous aider à corriger notre manière de voir les choses. Ici, c’est le maître du domaine c’est-à-dire Dieu qui fait le premier pas vers l’homme. Lui-même sort cinq fois pour embaucher des ouvriers pour sa vigne. C’est Dieu qui, le premier, se met à la recherche d l’homme. IL le fait inlassablement sans jamais se décourager.

L’important, c’est d’entendre cet appel que le Seigneur nous adresse inlassablement tout au long des jours et des années : «  Allez, vous aussi, à ma vigne » Cette vigne, c’est le Royaume de Dieu. Jésus en est le cep et nous sommes les sarments. Il faut absolument que cette vigne produise du fruit. C’est en vue de cette mission que Dieu appelle des ouvriers. Travailler à la vigne du Seigneur, c’est témoigner de l’espérance qui nous anime. Nous sommes envoyés vers ceux et celles qui nous entourent, en particulier vers ceux qui sont blessés par les épreuves de la vie, la violence, la maladie.

Oui, Dieu appelle chacun d’entre nous, en se laissant rencontrer là où il donne rendez-vous. Pour moi ce fut le 29 juin 1952, l’appel définitif et l’ordination sacerdotale par l’imposition des mains de l’évêque dans la cathédrale de Vannes.

Mais cet appel s’est inscrit dans l’histoire de ma propre vocation, découverte progressivement depuis l’enfance par l’influence d’une famille profondément chrétienne et d’un prêtre, comme le Père Joseph Josse, recteur de ma paroisse, à qui je venais répondre la messe chaque matin depuis l’âge de six ans, jusqu’à mon entrée au petit séminaire de Ploërmel.

Sa messe commençait par ces mots : « Introïbo ad altare Dei » Et moi je répondais : « Ad Deum qui laetificat juventutem meam ». Je ne comprenais pas le latin à cette époque. Je l’ai compris ensuite : « J’irai vers l’autel de Dieu », disait le prêtre, et je lui répondais : « Vers Dieu qui réjouit ma jeunesse. » Et cela je le ressentais. La recherche plus approfondie se fit ensuite, surtout au grand séminaire de Vannes, pendant six ans, dans la fréquentation de Jésus dans l’Evangile, dans la méditation quotidienne, les études théologiques, l’assistance quotidienne à la messe, la prière personnelle, l’éclairage particulier avec un Directeur spirituel. Ma vocation s’est affermie, non sans hésitation, parfois dans le doute, mais devenant, surtout au cours de mon service militaire, conviction de plus en plus affirmée que le Seigneur m’appelait au service des hommes dans le sacerdoce.

Cet appel s’est concrétisé dans des ministères divers. A l’époque où j’ai été ordonné, nous étions plus de 900 prêtres dans le diocèse. Un nombre important exerçait son ministère comme enseignant : professeurs dans les lycées ou les séminaires, instituteurs dans les écoles primaires. Pour ma part j’ai passé 41 années dans l’enseignement, d’abord comme instituteur, puis comme aumônier de l’école normale des filles à Sainte Anne de Conleau, comme conseiller pédagogique et inspecteur des écoles, comme formateur des futurs enseignants, comme directeur du Centre de formation pédagogique et directeur de l’Université Catholique de l’Ouest à Arradon.

En plus de l’enseignement pédagogique dispensé, j’ai toujours eu à cœur que les jeunes, dans leur éducation ou formation soient orientés vers de fermes points de repère qui puisent jalonner leur avenir, selon les valeurs de l’Evangile.

J’y ai mis toute mon énergie et mon cœur. Mon objectif était d’être au service de ceux et celles qui m’étaient confiés, tout en étant attentif aux signes qui nous renvoie à l’Evangile. Je tiens, une nouvelle fois, à rendre témoignage à un prêtre, le Père Le Berre, Directeur de l’Enseignement Catholique, de m’avoir fait nommer à la direction diocésaine de l’enseignement catholique. Il m’a toujours accompagné dans mes diverses responsabilités et a été, pour moi, comme un second père.

Ayant quitté mes responsabilités dans l’enseignement catholique, Monseigneur Gourvès m’a nommé à la paroisse de Notre Dame de Lourdes où je suis resté dix ans. Mon objectif a été d’être au service des chrétiens et chrétiennes afin qu’ils assurent leurs responsabilités de membres actifs d’une communauté qui témoigne de l’Evangile, ferment de vie et d’action dans un secteur donné. A travers les diverses rencontres avec les paroissiens, baptêmes, mariages, obsèques, j’ai essayé de vivre ce que Saint Paul disait aux chrétiens de Rome : « Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. » Ces dix années à Notre Dame de Lourdes ont été, pour moi, dix années de grâce, car elles m’ont permis d’exercer plus directement le ministère sacerdotal pour lequel j’avais été ordonné.

Mais je n’oublie pas la paroisse de l’Ile d’Arz où je viens depuis 1996. Vingt et une année de ministère dans cette paroisse, deux mois avec le Père Bernard Nogues, sept ans avec le Père Jean Dréano et 14 ans comme recteur. Je garderai un excellent souvenir de ce ministère. Je tiens à remercier tous les ildarais et ildaraises qui m’ont aidé. Qu’aurais-je fait sans vous. L’Eglise, ce n’est pas seulement les prêtres ; ce sont d’abord les laïcs chrétiens. On ne dira jamais assez la place que, vous les chrétiens et les 4 religieuses présentes ici au début de mon ministère, avez tenu et tenez encore dans ma vie de prêtre : par votre simple présence, votre amitié, vos engagements et votre fidélité dans la foi. Comme à Notre Dame de lourdes, j’ai essayé de mettre en pratique la devise de Saint Paul : je serai dans la joie avec ceux qui le seront (avec les parents préparant le baptême de leurs enfants- (plus de 100 baptêmes dont quatre de parents habitant l’île), avec les futurs mariés que j’ai accompagnés dans leur préparation et célébration,( une cinquantaine, dont seulement deux couples habitant régulièrement ici), et je pleurerai avec les familles en deuil,(elles ont été nombreuses) ou les personnes atteintes de maladies graves. Ainsi je témoignerai de la tendresse du Dieu auquel j’ai donné ma foi, et que j’ai essayé de faire connaître et aimer.

Une ombre cependant : que notre église ne se remplisse que pour les obsèques. Où sont les jeunes ? Pas de catéchèse des enfants. Notre île est à l’image de bien des paroisses.

Heureusement, durant les vacances nos assemblées dominicales sont plus importantes grâce à l’assistance des très nombreux résidents secondaires. Qu’ils en soient remerciés.

Je crois pouvoir dire que Dieu m’a comblé de sa grâce, malgré mes faiblesses, mes erreurs et mes imperfections. Saint Pierre lui-même n’avait-il pas renié son Maître à la Passion ? Et pourtant, Jésus lui a gardé sa confiance, tant il est vrai que «  le Seigneur ne nous demande pas d’être sûrs de nous, mais sûrs de lui. »

Certes notre cœur est bien fragile et inconstant, marqué par des négligences et des erreurs. Saint Paul lui-même ne disait-il pas : « Je fais le mal que je hais et je ne fais pas le bien que j’aime. » Cruel tiraillement intérieur. Et cependant, au terme de sa vie, nous l’entendrons dire : « Je me suis battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle, je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur ! » (Timothée, 4, 6-8)

Puissions-nous reprendre ces paroles à notre compte ou répondre en toute humilité à Jésus comme saint Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? – Seigneur, tu sais bien que je t’aime. »

Chers amis, dans un moment, je présenterai au Seigneur le pain et le vin qui représenteront ma vie de prêtre avec ses richesses et ses faiblesses, ainsi que votre vie, vie de famille, vie de travail, vie de soucis et de peines, vie de joie. Ce pain et ce vin vont devenir, à la prière du prêtre, par l’action de l’Esprit Saint, le Corps et le Sang du Christ, Corps et Sang qui seront offerts à Dieu le Père et qui, à la communion deviendront la Nourriture de nos âmes.

Unissez-vous à ma prière pour que cette Eucharistie soit une fervente action de grâces, pour les innombrables bienfaits que le Seigneur m’a accordés, ainsi qu’à chacun de vous.

Père Jean Lucas

Vie paroissiale

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