Les Touyeur – Episode 2

 Notre sondage donnant 100 % de réponses souhaitant connaître la suite de la saga Touyeur, la voilà :

Ps : vous pouvez encore voter pour arrêter ce délire  romanesque

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Les Touyeur, une saga – Episode 2

Je vous avais promis de vous parler des époux mais il vous faudra attendre. Jules, le marié, a bien attendu six mois la nuit de noce. Je dois vous parler d’Alphonse, celui, en uniforme, qui bouge sur la photo comme il avait bougé sur les lignes ennemies pendant la guerre, celle de 1870. Badinguet était à la manœuvre, il dirigeait l’assaut sur Sedan. « Bon sang ne saurait mentir » disait ma grand-mère pour m’expliquer pourquoi je devais réussir à traduire la Guerre des Gaules, sans me tromper sur les formes passives qui font gagner les vaincus si on ne traduit pas bien, tout ça parce que nous avions un curé dans la parentèle (cf. Episode 1).  Bref, le cousin Alphonse était dans l’artillerie, arme réservée aux élèves polytechniciens, supposés calculer un azimut quand bien même ils se trompaient sur celui de leurs épouses pendant la nuit de noces. Où en étais-je ? Alphonse, c’est ça, avait participé à la bataille où l’empereur Napoléon III avait été fait prisonnier. Les prussiens avaient fait boire ensuite leurs chevaux sur les Champs Elysées, vidé nos bouteilles, visité nos femmes puis étaient reparties avec l’or du Petit Père Thiers. Alphonse avait ramené sa jolie gueule de gouape et une décoration de la raclée donnée par Bismarck et comme tous les vieux goumiers il la ramenait aux épousailles. Son petit nom c’était Al, comme le Capone, celui qui ferait parler de lui plus tard à Chicago. Il jouait au héros, le défait ! Je suis devenu pacifiste ce jour-là, même ! On le voit sur la photo, le képi enfoncé sur son front bas, cherchant l’ouverture pour faire une fin, la ganache ! Sa grande cousine, celle à la mâchoire de cheval est séparé de lui  par son paternel, le notaire qui veille à la dot. Il attend son heure, celle des ouvriers de la treizième heure comme disait le curé dans son homélie dimanche. Il avait bien l’intention de se faire payer une heure de gloire militaire comme une journée, l’Alphonse. La mariée, il l’avait azimutée quand elle était sortie de son pensionnat de jeunes filles mais elle s’était entichée d’un médecin de campagne, ayant lu Madame Bovary de travers. Remarquez, un médecin, c’est utile, c’est comme un kinésithérapeute c’est pratique d’en avoir d’en avoir d’en sa famille, pour les massages. Un boucher, en temps de disette, c’est plus profitable mais moins présentable comme disait Brel, un belge. Je m’égare. Or donc, Alphonse avait de l’ambition. Pour un biffin, c’est bien le moins. Cela rime.  Mais l’ambition cela passe par la dot d’où la présence de notre Achille familial sur la photo. Il racontait toujours les mêmes anecdotes de sa campagne militaire en buvant des petits verres de fine.  Les Uhlans prussiens avec leur étranges chapskas avaient déboulé du champ de blé et commencé à piquer de leurs lances  les troufions en tenue garance. Il avait sabré un petit blondinet avant de se planquer derrière une meule de foin. Le blondinet était mort avec un recueil de vers de Heinrich Heine sur sa poitrine rougie. Alphonse avait été cité à l’ordre du régiment. D’où sa décoration. Il avait des vues sur sa petite cousine, la cavale. Elle allait sur ses vingt-cinq ans. Ses actions étaient donc en baisse et la dot devenait de plus en plus conséquente. La tranquillité financière vaut bien une messe se disait ce mécréant.  Alphonsine, la cousine, cela ne s’invente pas, encore un vers blanc, était prête à se faire Sabine (dito). Al avait donc décidé de faire valser sa petite cousine, malgré sa mauvaise haleine pendant le bal des épousailles. Il avait même pris des cours de valse à trois temps chez madame Marcelle, boulevard des Batignolles à Paris. Madame Marcelle, une ex-péripatéticienne qui avait battu le pavé parisien au temps de sa fraicheur,  s’était reconvertie dans la danse de salon. Des cours de Boston prodigués par la harengère, il avait tiré peu de profit mais enrichi son vocabulaire d’expressions d’Apache qui faisaient scandale dans la famille.  Me Dumolet, le notaire père de la victime, avait épousé ma tante Sophie, « Fifi », et conservait de ses études une certaine morgue. A tout prendre, le premier clerc aurait été un meilleur parti mais l’uniforme cela vous pose un homme. Alphonse avait le mollet galbé comme celui du Romain qui enlève à bras le corps la Sabine sur la statue de Giambologna et un brin de moustache. « La moustache c’est le piment du baiser » avait ricané en catimini ma sage maman. « Un baiser glabre » c’est comme une soupe sans sel » avait répondu, en gloussant, la cousine Alberte un jour de thé quand elle croyait que je m’étais endormi sur mon cheval de bois. Mon éducation sexuelle s’était faite sur mon cheval à bascule, enfin, je m’entends, la partie théorique, à écouter les bavardages grivois des dames et des messieurs de notre parentèle. « Chaque fois que je devine ce que je ne vois pas quand Riton arrive en chemise de nuit pour se coucher », soufflait en soupirant ma tante Adèle, mère de onze enfants, « je sais que je vais encore tomber enceinte. Il a dressé la tente ! ». Je ne comprenais pas le rapport entre la tente de ma tante, la chemise de nuit de mon oncle et la conception des enfants;  c’était un puzzle érotique qui me plongeait dans la perplexité. Or donc Alphonse allait fondre sur sa proie, comme le faucon sur la colombe mais la photo est prise avant le repas de mariage et tout va basculer. Je vous raconterai cela au prochain épisode.

Les Touyeur, une saga

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