« Ennuyeux », « triste », « pas folichon ». Quand nos grands écrivains malmenaient le Morbihan

Boedic

Auray ? « Sans importance ». Le Palais ? « Une petite ville assez sotte ». Vannes ? « Pas gai ». La mer à Lorient ? « Rien de plus laid ». Les alignements de mégalithes ? « Pas intéressants ». Maupassant, Flaubert, Stendhal, Mérimée ou Victor Hugo, nos grands écrivains du XIXe, ont tous visité le Morbihan sans être conquis. Il n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère pour le décrire…

Qu’on se le dise : au XIXe siècle, le Morbihan n’a pas la cote auprès des grands auteurs. Gustave Flaubert erre sur des « routes tristes, dans les sables, au bord de la mer » (Par les champs et par les grèves, 1847). Stendhal déplore un « climat ennemi de l’homme ». Jules Michelet brocarde un « Morbihan sombre d’aspect » qui « l’est aussi de souvenirs » (Tableau de la France, 1833).

Même l’écrivain Prosper Mérimée, à qui le département doit le recensement du château de Suscinio ou du tumulus de Gavrinis, y va de sa complainte. Pour l’inspecteur général des monuments historiques, « Auray n’a aucune importance et ses églises ne méritent pas d’être décrites » (Notes de voyage dans l’Ouest de la France, 1836).

Les Bretons « paraissent tristes et renfrognés », pointe Stendhal dans ses Mémoires d’un touriste (1838), alors qu’il séjourne dans le pays d’Erdeven et « son triste village ».

Cerise sur le gâteau, Flaubert décrit Le Palais, à Belle-Île-en-Mer, comme « une petite ville assez sotte ». Ouest-France livre une revue de détails non exhaustive et édifiante !

Maupassant, Stendhal et Taine déprimés par Vannes

Stendhal « s’était figuré que » Vannes et ses remparts « étaient presque sur la mer ». | ARCHIVES XAVIER TREMAUDAN-PLACE

« Pas gai, pas folichon, Vannes. Triste idée de venir ici ! » Dans la nouvelle Une soirée (1887), le personnage de Guy de Maupassant a le blues. Et nous avec. Quoi, notre capitale des Vénètes serait « si calme, si morte », avec un port « si morne » ?

La ville fait aussi un effet bœuf sur Stendhal qui, dans ses Mémoires d’un touriste (1 838), « s’était figuré que Vannes était presque sur la mer. Je me suis assis désespéré sur une grosse pierre. »

Même impression négative pour l’historien Hippolyte Taine. Dans ses Carnets de voyage. Notes sur la province, publiés à titre posthume (1897), l’écrivain voyageur décrit « les restes du Moyen Âge, la fantaisie et l’anti-hygiène » du Vannes d’alors. « Souvent, un étage fléchit et boîte, ou fait hernie. Deux maisons voisines séparées par une étroite allée vont s’effondrant l’une dans l’autre, en sorte qu’il a fallu les étançonner par des poutres transversales. On découvre des escaliers bossus, étriqués, des recoins et profondeurs inexprimables, des bouts de cours et de ruelles, un pêle-mêle biscornu. »

Michelet et Mérimée, pas conquis par Auray

Le port de Saint-Goustan, à Auray. Jules Michelet décrit une rivière d’Auray « sale, avec ses vases fétides ». | ARCHIVES MARC OLLIVIER

Jules Michelet ne cache pas tout le mal qu’il pense de la région d’Auray, « théâtre sinistre de la guerre des chouans », de ses « chemins très âpres et souvent périlleux » et de ses manoirs qui « ont rarement la hauteur et le grandiose des châteaux normands ».

« De temps en temps, on voit la rivière d’Auray, sale avec ses vases fétides, ses îles du Morbihan aussi nombreuses qu’il y a de jours par an. Ponts dangereux sur des marais. Brume et pluie battante », décrit encore Michelet, dans son Tableau de la France.

Quant à Prosper Mérimée, il estime, en une phrase, qu’« Auray n’a aucune importance et ses églises ne méritent pas d’être décrites ». Pour autant, il reconnaît que « cette petite ville est la meilleure station que l’on puisse choisir lorsqu’on veut visiter les grands monuments celtiques du Morbihan ».

Lorient laisse Stendhal de marbre

Gravure du port de L’Orient, en 1666, à sa création, quand la Compagnie des Indes s’installe sur la lande du Faouëdic. | SERVICE DES ARCHIVES DE LA VILLE DE LORIENT

Dans ses Mémoires d’un touriste, Stendhal « voit que Lorient a été bâtie par la main de la raison. Les rues sont en ligne droite ; ce qui ôte beaucoup au pittoresque ». L’auteur a « dû subir la corvée de la visite des chantiers et des magasins, comme à Toulon » et n’a visiblement pas aimé. « Dieu préserve le voyageur d’un tel plaisir ! », écrit Stendhal d’une plume rageuse.

Même la mer, à Lorient, n’a pas trouvé grâce aux yeux de notre grand auteur. « Il n’y a point de mer, la marée est basse ; je n’ai trouvé qu’un très large fossé rempli de boues et de malheureux navires penchés sur le flanc en attendant que le flux les relève. Rien de plus laid. Quelle différence, grand dieu, avec la Méditerranée ! Tout était gris sur cette côte de Bretagne. Il faisait froid et il y avait du vent. »

Le Palais, à Belle-Île-en-Mer, détesté par Flaubert

Le port pittoresque de Palais et les remparts de Vauban, à Belle-Île-en-Mer, ont, aux yeux de Flaubert, « je ne sais quoi d’un sous-officier qui baille ». | ARCHIVES THIERRY CREUX

Dans son carnet de voyage Par les champs et par les grèves, Gustave Flaubert n’y va pas par quatre chemins.

Il déteste Le Palais, « une petite ville assez sotte, qui transsude un ennui de garnison et a je ne sais quoi d’un sous-officier qui baille ». […] Est-ce la peine de s’être exposé au mal de mer, que nous n’avons pas eu d’ailleurs, ce qui nous rendait indulgents, pour n’avoir à contempler que la citadelle, dont nous nous souciions fort peu, le phare, dont nous nous inquiétions encore moins, ou le rempart de Vauban qui nous ennuyait déjà. »

Les alignements de mégalithes méprisés par Flaubert et Michelet…

Les alignements de mégalithes à Kermario, à Carnac. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

Flaubert a décidément la dent dure sur le Morbihan. Les alignements de mégalithes de Carnac le laissent froid. « Je ne demanderais pas mieux, comme un autre, de les avoir contemplées lorsqu’elles étaient moins noires et que les lichens n’avaient pas encore poussé. »

Ils «  n’inspirent aucun étonnement » à Jules Michelet qui dresse un portrait sinistre de Carnac. « C ’est encore pis. Véritables plaines de roc où quelques moutons noirs paissent le caillou. Au milieu de tant de pierres dont plusieurs sont dressées d’elles-mêmes, trapues comme les hommes du pays. »

Le site mégalithique de Carnac s’étend sur 4 km. En tout, près de 4 000 pierres levées peuvent y être observées. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

… déprimants pour Stendhal

Dans ses Mémoires d’un touriste (1838), Stendhal a « compté, en recevant sur la figure une pluie froide qui s’engouffrait dans mon manteau, dix avenues formées par onze lignes de blocs (un bloc de granit isolé s’appelle un peulven). […] Cette antique procession de pierres profite de l’émotion que donne le voisinage d’une mer sombre. »

…et pas intéressants pour Hippolyte Taine

Mais en matière de jugement définitif sur les alignements de mégalithes de Carnac, la palme revient à Hippolyte Taine.

Dans ses Carnets de voyage. Notes sur la province (1 897), l’écrivain assure que « le spectacle n’a rien d’intéressant. Les blocs de Fontainebleau sont bien plus vastes et leur traînée est d’un effet bien autrement grandiose. » Il en reconnaît néanmoins l’importance. « Comme signe historique, ces pierres frappent beaucoup. »

Les Bretons énervants pour Victor Hugo

Victor Hugo a séjourné dans le Morbihan. Et a vu certaines choses qui l’ont mis en colère… | WIKIMEDIA COMMONS/CREATIVE COMMONS

Même la star de cette fin du XIXe, notre Victor Hugo national, trouve les monuments celtiques « étrangers et sinistres ».

Cependant, il enrage quand il voit les dolmens à terre, car des paysans « imbéciles » en font des murs et des cabanes. « Pays stupide ! Peuple stupide ! Gouvernement stupide ! » rage-t-il dans une lettre.

Le tournant en 1873

Le tournant arrivera en 1873, avec la parution en feuilleton du Mari de Charlotte, un roman d’Hector Malot (1830-1907) qui se déroule à Port-Navalo.

« En prenant le Golfe pour la première fois comme cadre d’une fiction, ce texte marque une rupture : jusque-là tous les auteurs exprimaient une certaine curiosité (parfois teintée de déception) pour les monuments, mais dénonçaient l’aspect « sinistre » des paysages ou, au mieux, n’en parlaient pas ; voilà que, désormais, le golfe va devenir un cadre admirable dont rapidement plus personne n’osera dire du mal », note François Beaulieu, dans son Dictionnaire du golfe du Morbihan.

Comme par hasard, c’est dans ces années-là que commencent à se développer sur la côte les stations balnéaires, dopées par l’arrivée du chemin de fer. Et tant pis si Guy de Maupassant reste le dernier des ronchons, avec sa nouvelle publiée en 1887 : à l’aube du XXe siècle, l’image du Morbihan devient rayonnante. Et cela pour longtemps…

https://www.ouest-france.fr/bretagne/morbihan/ennuyeux-triste-pas-folichon-quand-nos-grands-ecrivains-malmenaient-le-morbihan-6462580

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