Tout ce que vous aurez délié sur la terre…

Rembrandt

DIMANCHE 10 SEPTEMBRE

Evangile selon saint Matthieu 18, 15-20

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Eglise ; s’il refuse d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »

Tout ce que vous aurez délié sur la terre…

Souvent, on retreint le pouvoir de lier ou de délier (sous-entendu « les pécheurs de leurs péchés ») aux seuls prêtres dans le sacrement de la réconciliation (qu’on n’appelle plus- Dieu soit loué- le Tribunal de la Pénitence)

Voilà ce qu’en dit d’ailleurs le pape François : « Le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur qui nous stimule à faire le bien qui est possible. »

Posons-nous cette question : Et si le pouvoir, le devoir de « lier et de délier » concernait tous les baptisé-e-s, vous et moi ? Regardons cela de plus près.

D’abord une remarque préalable qui nous rappelle que les évangiles ont été écrits après la mort et la résurrection de Jésus et, chacun d’entre eux, pour un public déterminé. Jésus n’ayant pas connu d’autres communautés de croyants que celle qu’il formait avec les Douze, il est peu probable qu’il ait prononcé ces paroles, nous dit un exégète. On peut plutôt penser que Matthieu a en vue la communauté de croyants dont il est le fondateur, ou telle ou telle autre communauté qu’il connaît très bien.

Il est vraisemblablement question ici d’un membre dont la manière de vivre, les réflexions, les gestes sont un grave contre-témoignage à l’Evangile, que les autres membres essaient de vivre au jour le jour. Si on se reporte aux cas cités par saint Paul dans une lettre aux Corinthiens, c’est peut-être un percepteur d’impôts qui majore les sommes dues et met le surplus dans ses poches. C’est peut-être quelqu’un qui offre encore un culte aux dieux païens. Ou quelqu’un qui vit dans la débauche sexuelle. Ou quelqu’un qui sème la zizanie dans la communauté par des calomnies. Ou encore….

Comment doit se comporter la communauté en de telles circonstances ?

Le recueil des lois du lévitique, six siècles avant Jésus Christ, traitait déjà le problème : Tu n’auras pas de haine dans ton cœur pour ton frère. Tu dois réprimander ton compatriote : ainsi tu n’auras pas la charge d’un péché .Tu ne te vengeras pas et ne garderas pas de rancune envers les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Lévitique 19, 17-19)

Et, en pensant à d’autres prophètes ou sages de l’Ancien Testament, Matthieu indique comment régler les difficultés qui peuvent survenir dans la vie des communautés de son temps.

Ces recommandations sont toujours valables- on appelle cela la correction fraternelle- pour les petits groupes humains, qui sont de véritables communautés, c’est-à-dire un groupe durable de personnes possédant et jouissant de façon indivise d’un patrimoine en commun : les familles, et tout groupe où des personnes lient leur sort à celui d’autres personnes, soit temporairement, soit définitivement.

Dès qu’on passe à une échelle plus large, ces recommandations sont moins pertinentes.

Cela risque même d’être très dangereux : certains peuvent se transformer en insupportables donneurs de leçons, sûrs de posséder à eux seuls la vérité et qui ne se souviennent plus des conseils de Jésus lui-même : Avant de vouloir ôter la paille de l’œil de ton prochain, commence par ôter la poutre dans le tien ! Ou encore : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. Je ne suis pas venu pour juger le monde mais pour le sauver ! »

Jésus avait du respect pour celles et ceux que les pharisiens ultra- orthodoxes traitaient de pécheurs, intouchables sous peine de souillures. Donc traiter quelqu’un comme un païen et un publicain, ce n’est pas l’exclure, mais accepter de cheminer avec lui, c’est lui permettre de découvrir un Dieu qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive.

Nous recevons du Christ cet appel à délier, à libérer, à sauver notre humanité de tout ce qui la tient captive. Il y a aujourd’hui tant de vies humaines inquiètes, blessées, fragiles, menacées. Des jeunes et des adultes posent la question vitale du pourquoi. Pourquoi aimer la vie ? Pourquoi lutter ? Pourquoi servir la vie des autres ?

A nous de proposer cet amour qui nous vient du Père : Lui nous délivre de la peur par la certitude d’une confiance jamais démentie, l’espérance d’un avenir, la conscience d’être aimé absolument.

Oui, le Christ nous appelle à lier, à créer des liens à l’heure où tant de personnes n’ont plus de liens familiaux, sociaux et à délier, à libérer tous ceux et toutes celles qui sont entravés dans leur dignité d’hommes et de femmes, dans un monde où l’argent, et non pas l’homme passe en premier. Que l’Esprit Saint nous inspire le courage de paroles et de gestes nouveaux.

Et comme disait Saint François d’Assise :

Quand domine la haine

que nous annoncions l’amour.

Quand blesse l’offense,

que nous offrions le pardon.

Quand sévit la discorde,

que nous bâtissions la paix ;

Quand pèse la détresse,

que nous ranimions l’espérance.

Quand règne la tristesse,

que nous libérions la joie.

Père Jean LUCAS

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