Migrants : le dialogue entre le pape François et Emmanuel Macron

Le pape François lave les pieds de migrants, le jeudi 24 mars 2016. Photo Libération

 

Le président Macron rencontre un réfugié soudanais lors de son déplacement à Calais le 16 janvier.
Le pape François a placé l’accueil des migrants au cœur de son message apostolique admettant que les gouvernants  doivent faire preuve de prudence, des paroles qui inspirent le Président Macron

Revue de presse

Le pape François a placé la question des migrants au cœur de son pontificat, au risque de ne pas toujours être compris des catholiques eux-mêmes.
La Croix
Depuis le début de son pontificat, en mars 2013, le pape François a une parole qui bouscule son Eglise quitte à déranger ses fidèles. Il l’a encore montré, à la fin de l’année 2017, en admonestant sévèrement la curie romaine. Mais il ne dévie pas de sa route, en premier lieu dans son combat pour l’accueil des migrants. Dimanche 14 janvier, à l’occasion de la 104Journée mondiale des migrants et des réfugiés, Jorge Bergoglio, issu lui-même d’une famille d’émigrés italiens venus en Argentine, a employé des mots forts.
« Tout immigré qui frappe à notre porte, a-t-il souligné, est une occasion de rencontre avec Jésus-Christ, qui s’identifie à l’étranger de toute époque, accueilli ou rejeté. »
Le pontife romain, qui entame lundi 15 janvier un voyage au Pérou et au Chili, a fait écho aux réticences, voire au refus, de l’accueil qui s’expriment dans l’Eglise catholique :
« Les communautés locales ont parfois peur que les nouveaux arrivés perturbent l’ordre établi, volent quelque chose de ce que l’on a construit péniblement. Les nouveaux arrivés aussi ont des peurs, ils craignent la confrontation, le jugement, la discrimination, l’échec. Ces peurs sont légitimes, elles se fondent sur des doutes parfaitement compréhensibles d’un point de vue humain. »
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Certaine frilosité exprimée
En avril 2016, François était rentré d’une visite sur l’île grecque de Lesbos en embarquant dans son avion trois familles de réfugiés syriens musulmans. Ce geste symbolique avait été diversement apprécié au sein de la communauté catholique. Le 14 janvier, il a réitéré avec force son appel à l’hospitalité : « Ce n’est pas un péché d’avoir des doutes et des craintes, a-t-il affirmé. Le péché, c’est de laisser ces peurs déterminer nos réponses, conditionner nos choix, compromettre le respect et la générosité, alimenter la haine et le refus. Le péché, c’est de renoncer à la rencontre avec l’autre. » Un langage qui sonne comme une mise en garde aux gouvernements européens et un rappel à l’ordre de la communauté catholique.
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Depuis l’appel du pape en septembre 2015, plus de 3 000 réfugiés ont été accueillis dans les diocèses de France. De nombreux signes montrent cependant que, à la base, les catholiques manifestent une certaine frilosité. Un sondage de l’IFOP indiquait, en novembre 2016, que, si 44 % des Français se déclaraient favorables à l’accueil des migrants, les catholiques pratiquants n’étaient que 46 % à partager cet avis. C’est la crainte de voir s’incruster un islam jugé conquérant ou communautariste qui est agitée. Pour Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France, « suivant les quartiers, des personnes ont pu se sentir en insécurité culturelle ». L’archevêque de Marseille plaide pour qu’« une plus grande place soit donnée à la raison, non pas simplement aux slogans et aux peurs ».
Le souverain pontife se veut aussi pragmatique – en Birmanie, en novembre 2017, il avait défendu la cause des Rohingya sans prononcer leur nom – et reconnaît qu’« un gouvernement doit gérer le problème avec la vertu propre au gouvernant, c’est-à-dire la prudence ». Il invite les migrants à « connaître et respecter les lois, la culture et les traditions des pays qui les accueillent ». Au moment où le projet de loi « asile et immigration » fait l’objet de nombreuses critiques, jusqu’au sein de la majorité, Gérard Collomb devrait s’inspirer de l’humanisme du pape. Dans le strict respect de la laïcité.
 Le Monde
Le président Macron rencontre un réfugié soudanais lors de son déplacement à Calais le 16 janvier.
Le pape François serait-il le modèle d’Emmanuel Macron en matière d’immigration ? À la fin de son voyage à Calais, mardi 16 janvier, le chef de l’État a en effet emprunté au pape la notion de « prudence », lors d’un échange avec des responsables associatifs, à la préfecture. Le représentant départemental du Secours catholique, Didier Degrémont, l’avait d’abord accusé de mener une « politique d’inhumanité » (1), confiant ses espoirs déçus « de mesures qui transformeraient la force de la peur en force de la charité, comme l’a dit notre pape François. L’hospitalité n’exclut pas la prudence, ajoutait le responsable associatif, mais que de souffrances à vouloir étouffer cette réalité migratoire ».
« Je vous remercie d’avoir cité dans sa complétude la parole du pape, parce qu’en effet il a rappelé la prudence qui appartient au gouvernement, lui a répondu Emmanuel Macron. Et je crois que cet équilibre est celui dans lequel nous nous inscrivons. »
La « prudence » selon Macron
Dans l’avion qui le ramenait ensuite à Paris, Emmanuel Macron a précisé à La Croix son idée de la « prudence », confiant avoir reçu du nonce apostolique Luigi Ventura le « dernier texte du pape François sur les migrants », en l’occurrence le message du pape François pour la 104journée du réfugié et du migrant.
« Je l’ai lu et j’ai écrit au pape François », assure le chef de l’État, sans rien révéler du contenu de cette lettre, qui n’est pas la première depuis leur conversation téléphonique, le 2 juin. « Cette prudence, c’est ce qui permet de rendre l’accueil des réfugiés acceptable pour la communauté nationale, précise le chef de l’État, assis en face du ministre de l’intérieur Gérard Collomb. « Il faut aider les gens qui s’engagent pour les migrants, mais il y a aussi ceux qui, à Calais, subissent cette situation. Et ce sont souvent des classes populaires, qui ont peu de moyens. Je ne peux pas donner des leçons d’accueil à des gens qui vivent déjà des situations difficiles », nous confie le président.
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En novembre 2016, tout en réaffirmant qu’« il n’est pas humain de fermer les portes », François mettait en garde contre le fait d’accueillir « plus qu’on ne peut en intégrer », estimant que « cela se paye aussi politiquement. »
Le refus du rejet de l’autre
C’est sans doute cela, la conclusion politique de ce voyage à Calais. La tentative d’Emmanuel Macron de maintenir l’équilibre entre « accueil digne » et « procédures accélérées », entre « hospitalité » et « prudence », n’a pas d’abord pour but de faire tenir ensemble des idées, mais les Français.
Durant ce voyage marqué par un soutien répété aux forces de l’ordre, le président a moins cherché à dessiner la cohérence d’un projet politique qu’à garantir « la cohésion d’un État ». Il l’a d’ailleurs dit « très franchement » aux associations : « Moi je ne veux pas que dans notre société des gens basculent dans le refus de l’autre et dans le rejet de l’autre. Si l’accueil de l’autre se fait sans ordre ou hors de la République, c’est ce qui se passera. Je ne veux pas non plus que, parce que nous sommes face à ces difficultés, nous oubliions nos valeurs. »
Un tel discours ferme donne sans doute au président plus de latitude politique pour, par exemple, mettre en œuvre l’aide alimentaire à Calais, alors que la maire LR de la ville Natacha Bouchart avait pris en mars dernier un arrêté, plus tard annulé par la justice, interdisant la distribution de repas aux migrants. Marine Le Pen avait obtenu 57,2 % des voix au second tour de la présidentielle à Calais.
Critique des « élites mondialisées »
Mardi soir, dans l’avion qui vient d’atterrir, Emmanuel Macron insiste encore sur le sens qu’il veut donner à son action : « Nous essayons de tenir un chemin de crête. Ceux qui prônent un accueil inconditionnel en France sont ce que j’appellerais de faux idéalistes. Les vrais idéalistes sont des pragmatiques qui prennent en compte ce que vivent les gens sur le terrain ».
« Lorsque certaines élites mondialisées expliquent, depuis Paris, que la France n’est plus un pays des droits de l’homme, que les migrants sont chassés, mais de qui parlent-ils ? Des gendarmes et des policiers qui vivent sur le terrain et font leur travail jour et nuit, en 3/8. Eux, qui sont depuis vingt ans dans une situation intenable, ils vont devenir fous », prévient le président. « Mettez-vous à la place de ces gens qui rentrent le soir, et qui ont fait leur travail, pour que d’autres puissent dormir tranquillement. Et ça, on n’en parle jamais. Si je ne les entends pas, si je ne fais pas mon devoir, qui prendra la part ? Personne. »
La « tension éthique »
Le président n’évoque pas, en revanche, les témoignages de migrants sur la réalité de leurs conditions de vie. Certes, la journée avait commencé par quelques échanges avec des demandeurs d’asile du Sud-Soudan dans un centre de Croisilles mais, les prises de parole du président se focalisent sur les chiffres, les procédures ou le contexte des situations géopolitiques.
Une différence avec les interventions du pape François, souvent émaillées d’exemples concrets de ce que vivent les migrants. Emmanuel Macron assume : « Je ne multiplie pas les sujets biographiques, ça peut être un élément de facilité de là d’où je parle. Je crois ne jamais avoir baissé la garde sur le principe d’humanité toute la journée », se défend-il.
Le président souligne que le pape lui-même a dû atténuer son discours au fil des années : « Les premiers propos qu’il a tenus sur les migrants lors de son élection étaient plus ouverts qu’aujourd’hui. » Faisant référence au voyage à Lesbos, d’où le pape François était rentré avec des migrants, en 2016le chef de l’État estime que « le pape a lui même vécu avec les catholiques sa propre tension éthique ». Une tension qu’il avait déjà mentionnée dans la journée face aux responsables associatifs. « On doit vivre avec », leur avait-il confié.

 

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