Archives de catégorie : Islam

Le grand rétrécissement de Valérie Pécresse

Les Protocoles des Sages de Sion défendait l’idée que juifs et francs-maçons possédaient un plan de conquête pour dominer le monde. La théorie du «grand remplacement» avance la thèse que les musulmans s’entendraient pour islamiser l’Europe et en premier lieu la France. Les juifs ont failli disparaître jusqu’au dernier dans les chambres à gaz; ce fut là leur plus belle conquête. Quant aux six millions de musulmans installés sur le territoire de la République, des Français comme vous et moi, à part conquérir une part de reconnaissance, on les voit mal conquérir autre chose.

Ces théories abracadabrantesques sont généralement le fait d’individus qui pour se sentir exister ont un besoin presque compulsif de s’inventer des ennemis imaginaires. Insatisfaits d’eux-mêmes, de la société qui les entoure, de la vie qu’ils mènent, il leur faut attribuer ces désagréments répétés à un autre dont la particularité serait de partager une origine différente de la leur.

Ces gens-là considèrent que les nations ne sont point des entités vivantes susceptibles de changer au fil du temps mais des concepts réfrigérés dont toute altération engendrerait des conséquences mortelles. Ils sont comme ces grands enfants qui crèvent de trouille de quitter le nid familial pour affronter le monde. Un monde hérissé de dangers dont ils croient percevoir la présence à chaque coin de rue au point de s’imaginer l’existence de complots dont le but avéré serait leur disparition.

Cette forme de paranoïa a ceci de redoutable qu’elle permet à tout un chacun de trouver une explication à ses déboires répétés. La petitesse de son existence n’est plus le fait de sa propre médiocrité, de sa paresse, de son indigence intellectuelle mais la conséquence de forces contraires qui empêchent l’individu d’accéder à un statut mieux en rapport avec sa situation.

Mais ce besoin d’accuser l’autre d’être responsable de son malheur ne serait rien s’il ne s’accompagnait du sentiment que le pays où l’on a grandi est en train de disparaître, remplacé par un autre qui fait la part belle à l’étranger, au juif, au musulman, au métèque aux origines mêlées chez qui par principe l’amour de la patrie, la défense de l’intérêt général et l’exaltation du sentiment national feraient défaut.

On rêve d’une France pure, chrétienne, éternelle, concept vaseux qui verrait dans la France une entité figée dans le marbre du temps et vouée à le rester. La France ne serait pas un pays mais un concept philosophique, une ode à une nation dont le destin serait non seulement d’éclairer les autres nations mais d’incarner une forme de résistance face à tout ce qui viendrait corrompre le sang de l’Occident.

Au nom de cet idéal, on est prêt à tous les sacrifices, à tous les renoncements, à toutes les compromissions. À revisiter les fantômes du passé. À changer la trame du récit national. À subvertir l’histoire afin de la rendre conforme à ses aspirations. On met en doute l’innocence de Dreyfus. On prête au régime de Vichy des intentions pacifiques. On exalte l’œuvre colonisatrice dont on vante les vertus émancipatrices.

Qu’un juif comme Zemmour soit devenu la figure de proue de ces mouvements identitaires ne manque pas de piquant. Le retournement de valeurs est tel qu’il laisse sans voix. Comment un juif peut-il adhérer à une théorie du «grand remplacement» qui en creux le dénonce comme l’un des hommes à abattre, une atteinte à l’intégrité nationale? Voilà qui ne manque pas de soulever des étonnements infinis, des questionnements susceptibles de nous plonger dans des abîmes de perplexité.

À moins de considérer que Zemmour a cessé d’être juif –mais comment a-t-il fait le bougre, voilà des années que je cherche cette introuvable martingale?!– ce renversement de paradigmes accrédite l’idée que l’amour d’un pays, l’adhésion à une idée, quand elle sombre dans le mysticisme, portent en lui les germes de sa propre folie.

Une folie contagieuse, apparemment.

D’entendre Valérie Pécresse utiliser les expressions de «grand remplacement» et de «Français de papier» en dit long sur ce lent poison qui menace d’étrangler la nation française. De glisser de la sorte ces vocables dans un discours de portée nationale leur confère d’emblée une respectabilité, une autorité, un statut qui leur manquait jusque-là. C’est par la répétition inlassable que les juifs représentaient un danger mortel pour la nation allemande que cette hypothèse saugrenue a pris des allures d’évidence.

Il serait peut-être bon de s’en souvenir.

http://www.slate.fr/story/223530/blog-sagalovitsch-retrecissement-valerie-pecresse-grand-remplacement-danger-juifs-musulmans

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R.P. Michel RIQUET, artisan du dialogue entre le Christianisme, le Judaïsme, l’Islam et la Franc-maçonnerie

En ces temps mauvais d’intolérance religieuse et sociale, agités par des politiciens populistes, il est bon de rappeler la mémoire de quelques hommes d’Eglise qui prirent le risque de leur vie au service de l’amour universel.

Deux Jésuites amis des Juifs

10/30/2015 by Rabbin Daniel Farhi · 

N° 265 – 30 octobre 2015.

Alors que nous venons de célébrer ce 28 octobre le cinquantenaire de la déclaration Nostra Ætate du Concile Vatican II relative aux relations entre l’Eglise et les religions non-chrétiennes, notamment le judaïsme, je voudrais revenir sur ce sujet car j’ai constaté qu’il avait rencontré peu d’échos parmi les médias écrits et/ou audiovisuels. Il est vrai qu’un événement positif au milieu d’une actualité faite de conflits et de drames multiples, ne se « vend » pas aussi bien. L’opinion publique, forgée par certains journalistes, est demandeuse de sensations fortes, non de petites joies spirituelles.

La semaine dernière, j’ai abordé le sujet sous l’angle historique, rendant hommage à l’initiateur du concile qui se déroula de 1962 à 1965, le bon pape Jean XXIII, et rappelant les principales résolutions concernant le judaïsme votées à plus de 98% des voix des quelques 2.500 cardinaux et évêques convoqués à Rome. Cette semaine, je voudrais évoquer la mémoire de deux hommes d’église dont l’action – avant et après le concile Vatican II – a illustré l’esprit nouveau qui régit les rapports entre Chrétiens et Juifs depuis l’événement central qu’il a représenté. Ce sont deux Jésuites que j’ai eu la chance et l’honneur de connaître : les révérends pères Roger BRAUN ז »ל et Michel RIQUET ז »ל .Ils se connaissaient bien, étant voisins de cellule dans la maison-mère de la rue de Grenelle. Le père Riquet est né en 1898 et mort en 1993. Le père Braun est né en 1910 et mort en 1981. Deux vies, deux destins que la seconde guerre mondiale a révélés, mais qui portaient en eux le ferment du bien, de l’amour d’autrui, de la compassion et du courage.

RP Roger Braun

Je commencerai par le père Braun avec lequel j’ai entretenu une amitié d’une dizaine d’années, jusqu’à sa mort prématurée du fait de la maladie. Un mot d’abord de sa personnalité. C’était un homme profondément bon et bienveillant. Son sourire vous mettait aussitôt à l’aise ; sa simplicité et sa modestie faisaient le reste. Il avait un beau visage qui reflétait une vie d’amour du prochain. Je l’ai connu au comité central de la LICA (devenue ensuite LICRA) dont je faisais partie. Le président Jean Pierre-Bloch était un rassembleur : au comité central (qui se réunissait rue de Paradis) se côtoyaient des hommes de tous bords politiques, de toutes couleurs de peau, de toutes religions, des croyants, des non-croyants, des riches et des humbles, des doctrinaires et des militants. Le père Braun occupa longtemps le poste de président de l’importante section de Paris de la LICA. Il s’est acquitté de cette tâche à la satisfaction unanime. J’ai tôt fait de lui demander de venir parler à la synagogue de la rue Copernic où j’exerçais alors. Ce dialogue entre nous deux s’inscrivait dans la ligne de ceux qu’avait initiés le rabbin André Zaoui et qu’avait poursuivis mon prédécesseur, le rabbin Nissim Gabbay. Plus tard, lorsque nous avons créé le MJLF, je l’ai à nouveau invité. Entre temps s’était établie entre nous une sincère affection, et il m’a raconté comment sa vie et sa carrière avaient été bouleversées par la guerre. En effet, alors que jeune lycéen de 14 ans à Strasbourg, il avait découvert par un tableau le terrible massacre de 2.000 Juifs de la communauté de sa ville en 1349, il décida de « tout faire pour réparer, pour que cela ne se renouvelle pas ». Ses années de séminaire lui permirent d’acquérir la connaissance de l’araméen et de l’hébreu, comme de l’histoire du judaïsme et de la pensée juive. Sans que ses supérieurs ni lui-même sachent le moins du monde où cela pourrait le mener… Ici, je cite un hommage que lui rendit Mme Renée de Tryon-Montalembert dans la revue « Sens » de l’AJCF en juin 1981 : « Les événements ne tarderaient pas à révéler le sens d’une telle préparation. Dès juillet 1942, sa formation étant terminée, le Père Braun était nommé aumônier général adjoint des camps d’internement français de « Zone Sud » et des Formations de travailleurs étrangers. Tâche écrasante et exaltante où le jeune prêtre allait se lier avec la Résistance juive et nouer avec nos frères persécutés d’innombrables amitiés, aussi profondes que durables. − Ils furent si nombreux, ces prisonniers voués à la déportation, et parmi eux, bien des enfants, que Roger Braun réussit à sauver de la mort, souvent au péril de sa propre vie, qu’il s’agisse des internés dont il organisait la fuite, ou des cachettes improvisées au moment des rafles, jusque dans les locaux du Séminaire de Limoges et de l’Institut catholique de Toulouse ; ou encore de ce réseau d’évasion qu’il avait mis sur pied, en direction de la Suisse et de l’Espagne, sans compter cette intervention auprès du Commissaire du Camp de Rivesaltes, le 8 septembre 1942, qui devait permettre à trente enfants de se voir arrachés au cauchemar de la déportation ! […] La grande question ne pouvait alors que se faire de plus en plus lancinante, face à la prise de conscience − ô combien douloureuse ! − de nos responsabilités chrétiennes dans l’expression de leurs solidarités historiques : comment faire pour réparer ? Comment faire pour éviter le retour des horreurs du passé ? Comment faire pour qu’à deux millénaires d’enseignement du mépris se substitue en fin un véritable enseignement du respect ? » C’est au lendemain de la guerre des Six Jours que le père Braun créa, à cet effet, une revue catholique de haut niveau intellectuel et historique, « Rencontre, Chrétiens et Juifs » qui, à travers des articles et des dossiers très riches et documentés, se fixait pour objectif, dans l’esprit de Vatican II, de combattre l’antisémitisme chrétien. – « Certes », ajoutait Renée de Tryon-Montalembert, « il ne fut pas toujours compris, il connut la solitude et la critique, il eut à souffrir parfois de malentendus que lui rendait plus douloureux sa grande sensibilité. Mais tel n’est-il pas le lot de tous les pionniers ? Et les manifestations de sympathie exprimées par les communautés juives, au moment de sa mort, en France comme en Israël, sont venues confirmer encore le souvenir que nous garderons de lui et les traits d’une personnalité exceptionnelle marquée d’une double et unique fidélité : celle du religieux inconditionnellement ancré au cœur de son Église et, celle de l’ami, du frère des Juifs qui ne s’y sont pas trompés et qui ont d’eux-mêmes reconnu et tenu à honorer en lui un « Juste parmi les nations » Le 13 juillet 1972, Yad Vashem a décerné au Père Roger Braun le titre de Juste des Nations. Son nom figure sur le mur de l’allée des Justes derrière le Mémorial de la Shoah. Et c’est justice. J’ajouterai quelque chose qui me tient à cœur. Le père Braun est mort le 1er avril 1981 à Paris. Ce jour-là, le grand-rabbin de France, René-Samuel Sirat prononça sur sa tombe le kaddish. J’aurais fait de même si, à la même heure, je n’avais été en train d’enterrer mon père ז »ל tué par un automobiliste alors qu’il traversait une rue de Cannes aux côté de ma mère ז »ל deux jours auparavant…

RP Michel Riquet

Je voudrais à présent évoquer un autre prêtre jésuite dont l’action fut en tous points parallèle, bien que de façon différente, avec celle de son collègue et ami, Roger Braun. Il s’agit du révérend-père Michel Riquet. Il fut un théologien et un prédicateur de grande renommée. On lui doit plus de vingt livres ainsi que de très nombreux articles dans la Revue des Deux Mondes et des éditoriaux mémorables dans le Figaro. Mais tout cela qui est d’essence intellectuelle fut complété, comme pour le père Braun, par une attitude courageuse, voire héroïque, durant la seconde guerre mondiale. Lui qui avait pris part à la fin de la première et avait commencé son noviciat le 19 novembre 1918, soit une semaine après l’Armistice, s’est engagé de toutes ses forces dans la Résistance (réseau Hector, groupe Combat zone nord, réseau Comète, filière d’évasion d’aviateurs alliés). Mais il ne renonce pas à la parole publique. Il parle en pleine Occupation en l’église Saint-Séverin et n’hésite pas à interpeller la conscience allemande. La Gestapo finit par l’arrêter, en janvier 1944. Il est interné à Compiègne, déporté à Mauthausen, puis, d’avril 1944 à mai 1945, à Dachau, avec Edmond Michelet. Il garde de cette période de solides amitiés avec des compagnons de captivité, Juifs, communistes, francs-maçons. De 1946 à 1955, il est chargé des Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris. Son éloquence y est très appréciée. Il sera également vice-président de la LICRA, directeur de la Conférence Laënnec des médecins catholiques de 1930 à 1944, chargé de la formation des étudiants en médecine du Centre Laënnec à Paris, ardent militant de l’Amitié judéo-chrétienne de France et co-fondateur des Fraternités d’Abraham réunissant Juifs, Chrétiens et Musulmans.

Ces deux immenses figures du catholicisme français du XXème siècle méritaient, me semble-t-il, d’être évoquées en ce cinquantième anniversaire de la déclaration Nostra Ætate qui aura marqué pour les Juifs de ma génération et probablement des suivantes une révolution dans le regard que les uns et les autres nous portons sur une histoire qui fut souvent conflictuelle, voire tragique, mais qui, aujourd’hui, peut affronter l’avenir et les sombres nuages d’autres confrontations solidairement et fraternellement.

Shabbath shalom à tous et à chacun ! Bien amicalement, Daniel Farhi.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Riquet

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