Les Touyeur, épisode 3

Les Touyeur, une saga

Episode 3

Je reprends ici mon récit après avoir repris trois fois de l’île flottante de ma tante Aglaé, Glagla pour les intimes ; la tante Aglaé, c’est celle qui est à côté d’Alphonse dont je vous ai parlé dans la dernière chronique, le Roméo en-tuniqué. C’est vrai qu’elle est bonne l’île flottante d’Aglaé, la seule de la famille qui réussit à tous les coups sa crème anglaise ce qui rend jalouses les autres cuisinières Touyeur qui incriminent les œufs pas ou trop frais, le temps à l’orage ou la période du mois où elles sont ‘dérangées’, cette dernière explication ne m’a jamais convaincu car elles étaient tranquilles dans leurs cuisines avec personne pour les déranger ; moi je ne dérange pas, j’attends sur mon cheval à bascule, Rossinante, c’est son nom même si l’oncle Alphonse s’obstine à l’appeler l’âne de Buridan ou pire la Mule du Pape ce qui fait bicher la tante Huguette. J’ai même reçu un soufflet de Guéguette parce que je lui avais demandé, innocemment, pourquoi le Pape portait des mules comme les arabes et pas des chaussures comme les gentils. Fonfon avait éclaté de rire et offert la nouvelle d’Alphonse Daudet pour me consoler de ma joue rougie. J’en avais surtout conclu que les adultes ne disaient jamais ce qu’ils pensaient mais ce qu’ils voulaient que l’on pense qu’ils voulaient. Je philosophe et je vous égare, cher Lecteur, très chic le ‘cher Lecteur’, cela ne coûte rien et flatte son public à coup sûr. Bref, j’avais le cœur un peu chaviré, comme quand ma chère maman m’avait emmené faire une promenade en Sinagot dans la Petite Mer, Morbihan qu’ils appellent cela les gens aux chapeaux ronds. On avait navigué jusqu’à une île sauvage, Arz, l’île de l’Ours qu’ils l’appellent dans leur patois breton, habité par des descendants des vikings m’avait prévenu mon père. Je m’attendais donc à voir des géants à moitié nus, couverts de peaux d’ours, buvant du cidre dans des cranes et j’avais été très déçu. Les autochtones étaient certes peu causants, se gaussant des ‘parisiens’, nous, derrière notre dos quand nous abordèrent à la cale comme ils appellent le quai de Déluré. Pas vraiment délurés les locaux, pensais-je, en mon for intérieur, car je n’osais exprimer mes sentiments à haute voix de peur que les fils de vikings ne me jettent tout vivant aux crabes. J’avais lu dans Bibi Fricotin qu’un supplice viking consistait à attacher sa pauvre victime sur un rocher à marée basse et d’attendre que la mer monte et avec elle les crabes qui dévoraient vivant le supplicié.  J’avais mal aux arpions à la seule idée de me les faire grignoter par des araignées, des dormeurs, des chèvres, des crabes verts et tous les décapodes qui hantent les fonds. Donc j’avais eu le cœur barbouillé parce qu’un petit vent s’était levé, un crachin me glaçait et le paysage boucailleux me navra. J’avais repris mes esprits avec deux crêpes au sucre et une bolée de cidre au bouchon du coin. Je joints à mon récit épique une photo où l’on me voit en costume marin regarder l’abordage du reste de la famille sur la cale. Encore une demi-page écrite et je n’avance pas dans mon récit. Je me pers en chemins de traverse sur Rossinante et ne vous raconte pas la suite de ces fatales épousailles. Sur la photo, toute la famille sourit pendant les trente secondes nécessaires à l’impression de l’arsenium de la plaque photographique mais alors personne ne savait qu’un des invités allait décéder de l’arsenic mélangé à la glace au curaçao servie au dessert. Le curaçao, moi j’aime bien, j’ai liché les restes des petits verres ce jour-là mais n’en suis pas mort, j’ai fait pipi tout bleu ce qui m’a fort inquiété et, ayant dû avouer mon forfait à maman, elle m’a embrassé en pleurant au lieu de me promettre une fessée et ce n’est qu’après avoir appris le crime au curaçao que j’ai compris sa Confusion des sentiments comme aurait dit Stéphan Zweig. Pour l’heure, tout le monde souriait, pressé d’aller à table car l’abbé Justin, un peu embrouillé par le vermouth bu en apéritif, avait doublé les récitatifs parfois sans s’en rendre compte, semant la panique dans le chœur de bigotes qui trillaient des Alleluuuuuia, dirigées à l’harmonium par l’institutrice à la retraite, Madame Ronffet, avec deux , soufflés,  comme les tuyaux de l’harmonium. Il se fait tard, je vous raconterai le crime des noces Touyeur au prochain épisode. D’ici là, je vous suggère de revoir une excellent film Arsenic et vieilles dentelles qui vous aidera à comprendre l’intrigue. Kenavo (comme ils disent là bas)

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