Fainéant, moi ? Non !

 

Il y a des mots qui portent, chargés d’histoire et d’échos. Quand on les emploie, a fortiori quand un président de la République en fait usage, l’auditeur réagit, convoque sa mémoire. Fainéant : littéralement, celui qui ne fait rien, qui feint de faire. Un terme qu’un autre président de la République, décidément, Nicolas Sarkozy, remit au goût du jour en 2009, lorsqu’il expliqua, pour justifier son omniprésence, qu’il ne serait pas un roi fainéant, sous-entendu, qu’il ne serait pas comme Jacques Chirac. Fainéant est de ces mots qui mèneraient leur petite vie tranquille si l’Histoire n’avait eu la bonne, ou la mauvaise idée, de s’en emparer.

Photo montage, les costumes étaient d’époque…

En politique, il est bon de dénigrer son prédécesseur, de noircir son bilan. Les rois ne faisaient pas autrement. Aussi, quand Éginhard entreprit une hagiographie de Charlemagne, quinze ans après la mort de l’empereur, il lui parut de bonne politique de glorifier l’œuvre de la dynastie carolingienne et de rabaisser plus bas que terre la dynastie précédente, mérovingienne.

 Aucune paresse, donc. Juste un pouvoir chaotique et un royaume assez morcelé 

Ainsi peut-on trouver cette description du roi mérovingien type, tel qu’il régna, ou plutôt n’aurait plus régné après la mort de Dagobert. « Le prince était réduit à se contenter de porter le nom de roi, d’avoir les cheveux flottants et la barbe longue, de s’asseoir sur le trône, et de représenter l’image du monarque. […] S’il fallait qu’il allât quelque part, il voyageait sur un chariot monté par des bœufs. » Description au demeurant naturelle : le roi par ailleurs se déplaçait en effet ainsi.

On aura remarqué que, à aucun moment, le mot « fainéant » n’est employé. Mais plus tardivement, on interpréta ce texte pour qualifier ainsi ces rois qui s’étaient échelonnés entre 673 (à partir de Thierry III) jusqu’en 751 (Childéric III). Éginhardsuggère que ces rois délaissaient volontairement l’exercice du pouvoir. C’est faux. Ils en furent dépossédés par les maires du palais qui étaient ces Carolingiens qui allaient ceindre plus tard la couronne royale. Aucune paresse, donc. Juste un pouvoir chaotique et un royaume assez morcelé. Mais Éginhard écrit à destination des petits-fils de Charlemagne qui sont en train de guerroyer, il a donc besoin de leur brandir des contre-exemples. Cessez d’agir ainsi, ou vous finirez comme ces rois-là. L’histoire, on le sait, n’est qu’une perpétuelle réécriture.

Une caricature amplifiée par la République

Mais le portrait n’avait pas échappé aux maîtres en histoire des débuts de la IIIe République, qui n’avaient guère d’estime pour la royauté, excepté quelques figures comme celle de Charlemagne que l’on pouvait sauver des foudres républicaines. Ni une ni deux, l’expression fut popularisée, pour éreinter ces temps obscurs, représentations avec bœufs à la clé, comme le XIXe siècle n’avait pas peur d’en produire en série. Et voilà comment une inexactitude historique, surinterprétée, puis déformée et amplifiée, entra dans toutes nos mémoires.

Deux choses sont certaines en revanche. Que l’on ne saurait songer à Emmanuel Macron comme à un roi fainéant. Et que Coluche, en son temps, invitait au contraire tous les fainéants à voter pour lui au nom d’un droit très ancien à la paresse.

Le Point

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