Quel programme !

DIMANCHE 19 FEVRIER

Livre des Lévite (19, 1-2 17-18

Le Seigneur parla à Moïse et dit : « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël. Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. »

« Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui. Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. »

Evangile selon Saint Matthieu (5, 38-48)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour Œil, dent pour dent. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !

«  Vous avez appris qu’il a été dit : « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faîtes-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?

« Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

QUEL PROGRAMME

On a envie de dire « quel programme » ! Et pourtant, c’est bien cela notre vocation, ce que nous sommes appelés à vivre.

Si on relit l’ensemble de la Bible, elle apparaît comme le récit de la conversion de l’homme qui apprend peu à peu à dominer sa violence. Dieu éduque son peuple, lentement, patiemment.

Adam, le terreux, est appelé à devenir le temple de l’Esprit de Dieu. Comme l’a dit Saint Paul : « Puisqu’Adam est pétri de terre, comme lui les hommes appartiennent à la terre ; puisque le Christ est venu du ciel, comme lui les hommes appartiennent au ciel. Et de même que nous sommes à l’image de celui qui est pétri de terre, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel. »

Adam est le nom collectif qui englobe toute l’humanité. Et notre vocation, c’est d’être à l’image de Dieu, c’est-à-dire habités par l’Espritme de Dieu. L’une des grandes découvertes de la Bible, c’est que Dieu n’est qu’amour et pardon. C’est en cela qu’il est différent de nous, si surprenant même, pour nous.

Il faudrait avoir toujours cette phrase d’Isaïe à l’esprit : « Vos pensées ne sont pas mes pensées, dit Dieu, et mes chemins ne sont pas vos chemins. » C’est précisément sa miséricorde qui fait la différence entre Dieu et nous. Le pardon de Dieu n’est pas un acte ponctuel, c’est son être lui-même. Le pardon, c’est le don parfait, le don par-delà l’offense, par-delà l’ingratitude.

Les textes bibliques vont donc entreprendre la difficile conversion du cœur de l’homme. Dans cette entreprise, on peut distinguer plusieurs étapes. Arrêtons-nous à la première : « Œil pour Œil, dent pour dent. » ( livre de l’Exode 21, 205.)

En réponse à l’effroyable record de Lamek (Exode 4, 23), cet arrière-petit-fils de Caïn qui se vantait de tuer hommes et enfants pour venger de simples égratignures, la loi impose une première limitation : « une seule dent pour une dent, et non pas la mâchoire, une seule vie pour une vie, et non pas tout un village en représailles. » La loi du talion représentait donc déjà un progrès certain par rapport à la vengeance qui pouvait se multiplier à l’infini.

La pédagogie des prophètes va sans cesse attaquer ce problème de la violence. Mais elle se heurte à une difficulté psychologique très grande : l’homme qui accepte de ne pas se venger, croit perdre son honneur. Les textes bibliques vont donc faire découvrir à l’homme que son véritable honneur est ailleurs ; il consiste justement à ressembler à Dieu qui est « bon, lui, pour les ingrats et les méchants. »

Le discours de Jésus, aujourd’hui, est la dernière étape de cette éducation.

Personne n’avait, avant lui, osé rapprocher ces deux mots ; aimer et ennemis. On a beaucoup ironisé aussi sur « tendre l’autre joue ». N’y-a-t-il pas là démission, culte de la faiblesse ? Ne faut-il pas empêcher les méchants de nuire ? Certes, mais comment ? Est-ce en ajoutant de la violence à la violence, de la haine à la haine ?

La Parole de Jésus est claire. La vraie victoire sur la haine n’est pas un surcroit de haine mais l’amour. Face aux violences de son temps, Jésus met en pratique ce que nous appelons aujourd’hui la non-violence active. Quand Jésus dit : « A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre », il s’adresse à des gens habitués à être humiliés. Il leur dit : refusez désormais d’être traités ainsi. En tendant l’autre joue, vous cessez la spirale de la violence, vous désarmez votre adversaire.

Au moment de son procès, un des gardes gifle Jésus. Jésus montre le sens qu’il donne à sa parole. Il ne tend pas l’autre joue, mais il attaque la conscience du soldat : « Pourquoi me frappes-tu ? Si j’ai mal parlé, dis-moi en quoi j’ai mal parlé ! » Jésus n’est pas passif, mais il ne rend pas la violence reçue. Il la désamorce.

Cela se passe justement à l’heure où Jésus va, lui, le Juste, prendre place parmi les malfaiteurs. Sur la croix, il brise le cercle de la violence en acceptant de mourir d’amour pour ses bourreaux eux-mêmes. La mesure de l’amour de Dieu, c’est d’aimer sans mesure.

Et Jésus ne nous demande rien d’autre que de nous comporter comme Dieu son Père et notre Père. Combien de fois sommes-nous tentés d’anéantir l’autre, de l’écraser, de le faire taire, de l’accuser sans preuve mais à partir de on-dit ! Puissions-nous nous tous nous regarder comme les fils et les filles du même Père pour sans cesse faire naître la beauté qui est en l’autre.
D’après diverses sources.

Père Jean Lucas

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